Le déséquilibre hommes / femmes (garçons / filles) en Chine


En Chine, pays "le plus masculin du monde" (Isabelle Attané 2010), 24 millions d'hommes en âge de se marier pourraient ne pas trouver d'épouses. Un homme sur cinq, parmi les garçons nés dans les années 2000, pourrait éprouver des difficultés à se marier.
Rappelons qu'en règle générale, le sex ratio naturel s'établit à 105 naissances de garçons pour 100 filles, rapport qui s'inverse par la suite du fait de la surmortalité des hommes. La carte, ci-dessous à gauche, montre le sex ratio des moins de 6 ans. Les différences entre unités spatiales sont considérables : de 157 pour l'Anhui à 96,9 pour le Xizang (Tibet). Mais la plupart affichent des sex ratio largement supérieurs à 105 (limite haute de la classe inférieure). La moyenne des sex ratio est de 118,8 et le sex ratio moyen pour l'ensemble de la Chine est de 123 (limite basse de la classe inférieure).
Caractères de la démographie chinoise contemporaine
(sex ratio garçons / filles et évolution naturelle)
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De son côté, une étude publiée en avril 2009 par le British Medical Journal (BMJ), relève que, si de 1985 à 1989 le ratio garçons / filles à la naissance s'établissait à 108, proche de la normale donc, il est passé à 124 pour la moyenne 2000 à 2004 (données de la Chinese Academy of Social Sciences / CASS). Les auteurs de l'étude estiment qu'en 2005, le nombre d'hommes de moins de 20 ans excédait d'environ 32 millions celui des femmes, alors que le nombre de  femmes est normalement  supérieur à celui des hommes à cet âge. On relève par ailleurs une évolution relativement maîtrisée, pour un pays émergent en forte expansion, de la croissance de sa population (carte ci-dessus à droite), résultat d'une politique déterminée en la matière.

Quels sont les principaux processus qui ont conduit à cette situation ? Différentes raisons sont avancées pour expliquer le déficit des filles / femmes parmi lesquelles : la sous déclaration des naissances de filles (qui ne serait pas très fréquente dans les faits), l'avortement sélectif, voire l'infanticide.
Sex ratio à la naissance en Chine : évolutions des années 1950 à 2000
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Source : Watering the neighbour's garden, the growing demographie female deficit in Asia,
Committee for International Cooperation in National Research in Demography, 2007
www.cicred.org/Eng/Publications/pdf/BOOK_singapore.pdf 
On observait, dans le passé (années 1900 à 1945, graphique ci-dessous) l'effet des préjugés, des mentalités, de situations proches de la survie parfois, qui traditionnellement favorisaient la vie des garçons : surmortalité féminine par négligence et par manque de soins, infanticides de bébés filles. La proportion de femmes manquantes pouvait alors dépasser les 10%. Le contrôle étroit de la société maoïste a mis presque fin à ce déficit de femmes qui a ressurgi fortement à partir des années 1980 du fait de la politique de l'enfant unique (one-child policy) adoptée en 1979, puis de la diffusion des techniques de suivi médical de la gestation au cours des années 1990.
Du passé au présent : entre traditions et politique de la famille 

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L'estimation des femmes manquantes est établie à partir d’une norme générale, par comparaison avec les sociétés dont les espérances de vie et les taux de mortalité infantile sont similaires. La courbe ci-dessus résulte d'extrapolations.

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Source des affiches : International Institute of Social History (IISH), Stefan Landsberger's Chinese Propaganda Poster Pages
www.iisg.nl/landsberger et
http://chineseposters.net/news/2010-02.php
Les posters sur la politique de la famille :
http://chineseposters.net/themes/population-policy.php
La politique familiale de l'enfant unique par la propagande (années 1950)

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La politique de l'enfant unique (one-child family) date de 1979. Elle s'appuie alors sur différents leviers coercitifs et incitatifs en matière de logement, de santé et d'éducation ainsi que sur une propagande intense. Cette politique d'encadrement de la natalité connaît des variantes sur le territoire chinois : strictement appliquée pour les grandes villes et les métropoles, elle est plus tolérante en zone rurale. Et, d'une province à l'autre, la situation peut varier. Dans les provinces côtières les couples peuvent souvent avoir un second enfant si le premier est une fille. Dans les provinces centrales et méridionales la possibilité d'avoir un deuxième enfant est en partie soumise à l'appréciation des autorités. Dans les provinces peuplées de minorités (Xizang, Xinjiang, Nei Mongol...) que le pouvoir cherche à peupler davantage de populations han, la règle de l'enfant unique ne s'applique pas vraiment. Ces différences dans l'application de la politique de l'enfant unique expliquent largement les variations de sex ratio observées dans la carte introductive.
Les auteurs de l'étude du BMJ en 2009 soulignent deux points principaux. D'une part la disponibilité et l'efficacité croissantes des échographies permettant de connaître le sexe de l'enfant dans les premiers mois de gestation. Les échographes ont commencé à être diffusés dans le pays au début des années 1980 et sont arrivés dans les hôpitaux des villes rurales au milieu des années 1990. Ces techniques sont désormais accessibles au plus grand nombre.
En second lieu, le ratio garçon/fille a augmenté spectaculairement parmi les enfants second né ou troisième né des familles. Ils notent que le sex ratio du premier né, un peu plus élevé que la normale dans les villes, est à peu près normal dans les zones rurales. Cependant, il s'élève franchement pour les autres naissances avec une moyenne de 138 dans les grandes villes (132 à 144)  et de 146 (143 à 149) dans les zones rurales. Cette tendance est constatée dans toutes les provinces, sauf le Tibet (Xizang), avec des pointes importantes pour les provinces d'Anhui (moyenne de 190) et du Jiangsu (moyenne de 192). Pour les troisième nés, le sex ratio dépasse les 200 dans quatre provinces !
Il faut y voir les conséquences de la politique de l’enfant unique et des variations de sa mise en œuvre d’une province à l’autre. D’une manière générale, elle est beaucoup plus stricte pour la partie orientale de la Chine, et pour les grandes zones urbanisées (voir l'encadré supra) 
Sex ratio du nouveau né selon le genre
(sexe) de(s) enfant(s) précédents de
la fratrie (Chine, 2000) 
Nbre d'enfants déjà nés
Composition
par sexe
Sex ratio du nouveau né
Aucun
  
105,5
Un
1 garçon (g)
107,3
  
1 fille (f)
190,0
Deux
2 g
76,5
  
1 g et 1 f
122,1
  
2 f
380,6

Source : Yu, 2003 in Watering the neighbour's garden, the growing demographie female deficit in Asia,
Committee for International Cooperation in National Research in Demography, 2007
Prenons l'exemple du Guangdong, la province la plus peuplée de Chine. Si on ne considère que les premiers nés, le sex ratio est seulement de 108 (très légèrement supérieur à la normale). Pour le second enfant, autorisé dans la province, il passe à 146 et, pour les rares familles qui ont le droit d'avoir trois enfants, le sex ratio atteint 167. Dans la province d'Anhui le sex ratio des familles de trois enfants atteint 227 et pour la municipalité de Beijing, qui autorise aussi des exceptions dans ses zones rurales, il atteint 275 ... presque trois garçons pour une fille (étude BMJ de 2009) !

Les conséquences du phénomène sont multiples. Le taux de criminalité a presque doublé en Chine au cours des 20 dernières années, ce qui serait partiellement en rapport avec la masculinisation du sex ratio. Le vol et le trafic des filles et des femmes, la prostitution sont en progression rapide. Et pour aborder ce marché du mariage devenu ultra-concurrentiel, les familles épargnent. "Non seulement les ménages qui ont des garçons épargnent plus que ceux qui ont des filles, mais l'épargne augmente quand ils vivent dans les régions où le sex ratio est le plus biaisé", affirme Shang-Jin Wei, économiste à l'université de Columbia (New York), dans une étude parue en 2010.

Mais la tendance observée depuis la fin des années 1980 pourrait être en voie de stabilisation, voire d’inversion. En effet, le déficit en naissances féminines semble avoir cessé de s’aggraver depuis 2005. Il faut sans doute y voir l’effet d’une prise de conscience des conséquences de ce déséquilibre à moyen terme sur la stabilité sociale et la sécurité dans le pays. Ainsi, la Commission du planning familial et de la population (National Population and Family Planning Commission) a appelé à créer un environnement plus favorable aux filles et aux femmes. En 2003, un programme dénommé Care for Girls a été lancé. Par exemple, dans la province du Fujian, les autorités ont alloué 200 millions de yuan à 490 000 foyers avec filles et ont accordé la gratuité scolaire à environ 100 000 filles. Dans d'autres provinces, les familles qui n’ont que des filles ont également obtenu des privilèges en matière de logement, d'emploi, de santé et d'éducation. D'une manière générale, la création de systèmes de santé et de retraite efficaces et généralisés, ne rendant plus la descendance masculine aussi indispensables à la famille, pourrait contribuer à une évolution des mentalités.

Observant que le ratio garçon / fille des naissances est resté stable ces toutes dernières années en Chine (depuis 2005), Li Shuzhuo (démographe et un des promoteurs de la campagne Care for girls) espère que cette tendance marque le début d'un retour à la normale, comme cela a été le cas en Corée du Sud qui a pu retrouver une proportion quasi normale entre garçons et filles, après des années de préférence masculine.

Sources et ressources

Chercheurs et experts 

- Isabelle Attané, En espérant un fils, La masculinisation de la population chinoise, Cahiers de l'INED, avril 2010
- Isabelle Attané, " Naître femme en Chine : une perspective démographique", Travail, genre et sociétés - 2010/1 (n° 23), www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2010-1-page-35.htm
- Isabelle Attané - "En Chine, des millions de femmes "manquantes"", Outre-Terre n° 15, 2/2006, 
www.cairn.info/revue-outre-terre-2006-2-page-471.htm
- Isabelle Attané, "Les défis de la Chine : moins de filles, plus de personnes âgées", Population et Sociétésde l'INED, n° 416, octobre 2005 - www.ined.fr/fr/publications/pop_soc
- Isabelle Attané et Christophe Z. Guilmoto (dir.), Watering the neighbour's garden, the growing demographie female deficit in Asia, Committee for International Cooperation in National Research in Demography (Cicred), 2007,
www.cicred.org/Eng/Publications/pdf/BOOK_singapore.pdf dont les articles suivants :
> Li S., Wei Y., Jiang Q., Feldman M. W., "Imbalanced Sex Ratio at Birth and Female Child Survival in China: Issues and Prospects"
> Guilmoto C. et Attané I., " The Geography of Deteriorating Child Sex Ratio in China and India"
> Bossen L., " Missing Girls, Land and Population Controls in Rural China"
> Zheng Z., "Interventions to Balance Sex Ratio at Birth in Rural China"
- Sylvie Dubuc (department of Social Policy and Social Work de l’université d’Oxford, research fellow), propos recueillis par Laurent Testot, Sciences humaines,
www.scienceshumaines.com/avortements-selectifs-sans-frontieres-_fr_22492.html
- Richard Jackson, Keisuke Nakashima & Neil Howe, contributions de Jiangong Zhou, China’s Long March to Retirement Reform, Center for Strategic and International Studies, 2009,
http://csis.org/files/media/csis/pubs/090422_gai_chinareport_en.pdf
- Patrick Love, Chinese demography: One child, many consequences, 26 mars 2010,
http://oecdinsights.org/2010/03/26/chinese-demography-one-child-many-consequences- Wei Shang-Jin, Zhang Xiaobo, “The Competitive Saving Motive: Evidence from Rising Sex Ratios and Savings Rates in China.”, Why Do the Chinese Save So Much? A skewed sex ratio is fueling a highly competitive marriage market, driving up China’s savings rate and with it the global trade imbalance, janvier 2010, www4.gsb.columbia.edu/ideasatwork/feature/729422/Why+Do+the+Chinese+Save+So+Much%3F
- Marina Thorborg, ""Où sont passées toutes les jeunes filles ?". La discrimination à l'égard des filles en Chine dans une perspective comparative", Perspectives chinoises, n°86, 2004, mis en ligne le 15 mars 2007,  http://perspectiveschinoises.revues.org/document700.html
Organismes, institutions

- Committee for International Cooperation in National Research in Demography (Cicred)
www.cicred.org/index.htm > en anglais et www.cicred.org/index-fr.htm > en français
La partie en langue anglaise du site est beaucoup plus alimentée. Faire une recherche par mots-clefs (gender, female deficit, missing females, missing girls, one-policy family, sex ratio, etc).
- Chinese Academy of Social Sciences (CASS), http://bic.cass.cn/english
- Réseau Genre en Action (lancé en janvier 2003 à l’initiative du ministère des Affaires étrangères français), spécialisé sur les enjeux et la pratique de l’approche "genre et développement" (faire une recherche par mots clefs), www.genreenaction.net 
- International Institute of Social History, Stefan Landsberger's Chinese Propaganda Poster Pages
www.iisg.nl/landsberger et   http://chineseposters.net/news/2010-02.php
> De nombreux posters sur la politique de la famille :
http://chineseposters.net/themes/population-policy.php

Médias

- Chinese given perks to have girls, http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/3557898.stm
- William Saletan, Sex Reversal, Child quotas, abortion, and China's missing girls, 15 avril 2009,
www.slate.com/id/2216236
- The worldwide war on baby girls, version bilingue (anglais / chinois) de The Economist, 4 mars 2010,
www.ecocn.org/bbs/viewthread.php?tid=31747 

Hervé Parmentier, UMR 5600 Environnement, ville et société,

et Sylviane Tabarly, Dgesco / Ens de Lyon

pour Géoconfluences, le 10 juin 2010 (vers page originale)

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