Le Bilan humain de l’Europe forteresse






Voici un texte très intéressant sur les causes et les conséquences des migrations vers l'Europe rédigé par un cartographe français Nicolas Lambert. Il nous permet de réfléchir sur les causes des inégalités géo-économiques qui poussent les migrants à partir mais aussi sur la question de l'accueil qui fait largement défaut dans la plupart des pays de notre "forteresse Europe". 





Le Bilan humain de l’Europe forteresseRegard cartographique





« Tu ne dois pas revenir ici, marmonna-t-elle près de l’oreille de Khady.
Tu dois nous envoyer de l’argent dès que tu seras là-bas. Si tu n’y arrives pas,
tu ne dois pas revenir ». Trois femmes puissantes, Marie Ndiaye, 2009





« Qu’ils soient victimes de conflits, de persécutions ou d’autres violations des droits de l’homme, les déplacés sont parmi les populations les plus vulnérables au monde » Kofi Annan, 2000





Alors que le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité doit être discuté à l’assemblée nationale fin septembre, projet qui vise notamment l’application dans le droit français de la directive retour (souvent appelée à juste titre “directive de la honte” par ses détracteurs), certains députés UMP montent déjà au créneau. Dans un contexte où la plupart des niches fiscales sont susceptibles d’être rabotées, les députés Claude Gloasguen et Thierry Mariani (qui s’était déjà illustré en voulant soumettre le regroupement familial à des testes ADN), considèrent en effet que l’aide médicale d’Etat (AME) qui permet aux étrangers sans papiers de se soigner gratuitement, coûte trop cher. Ce dispositif, qui bénéficie aujourd’hui à 210 000 personnes a couté en effet 546 millions d’euros en 2009 (+15% par rapport à 2008)[1]. Pourtant, alors que seulement 6% des migrants déclarent venir en Europe pour des raisons de santé, une enquête européenne réalisée auprès de 1218 personnes dans 11 pays d’Europe[2] montre que 72% des problèmes de santé des sans papiers sont peu ou pas du tout traités. 80% des personnes interrogées n’accèdent pas à la prise en charge financière de leurs soins et seules 48% des femmes enceintes sont suivies pendant leur grossesse. On est loin de l’image véhiculée selon laquelle les migrants viendraient en Europe pour profiter d’un système social et médical avantageux.


En fait, dans un contexte où les politiques européennes visent les unes après les autres, à réduire de plus en plus les droits des migrants, avec une efficacité quasi nulle puisque les flux migratoires persistent, nous verrons in fine, qu’un effet réel, indiscutable de ces politiques, est l’augmentation du nombre de victimes. C’est le bilan humain de l’Europe forteresse.


Migrations internationales et Europe


Loin d’être un phénomène récent (né en Afrique, l’homme a peu à peu colonisé la planète entière), les migrations humaines se sont accélérées depuis les années 1980[3]. Aujourd'hui, 250 millions de personnes dans le monde sont des migrants, soit 3% de la population mondiale[4]. Sur ces 250 millions, un tiers est en Europe. Souvent vécus comme une menace, dans un monde globalisé où tout circule de plus en plus librement (à part les hommes), les pays riches tentent d’organiser un moyen de lutter contre ces flux migratoires. Car en effet, la concurrence économique mondiale construit un monde inégalitaire dans lequel il y a des gagnants et des perdants. Certaines régions gagnent la guerre économique et deviennent de fait attractives (effet push). D’autres, sont maintenues dans la pauvreté et deviennent répulsives (effet pull). Entre ces deux types d’espaces, apparaissent les grandes ruptures de notre monde. Que se soit en termes de niveau de vie (IDH), de richesse (PIB) ou d’espérance de vie, c’est là que l’on peut mesurer les plus fortes discontinuités[5]. C’est logiquement, sur ces frontières toujours militarisées, que se cristallisent les tensions liées aux mouvements humains.


Figure 1 : Discontinuités de richesse dans la région Euromed, 2008


L’effet push : ce qui pousse à partir


Il y a quatre principales raisons aux migrations internationales. Premièrement, les migrants fuient bien souvent leur pays pour des raisons économiques. Nous l’avons dit, l’inégale répartition des richesses à l’échelle de la planète provoque des mouvements de populations. Fuir la misère pour vivre mieux, c’est légitime. A cela s’ajoute la deuxième raison : les considérations familiales. Ceux qui sont restés dans leur pays veulent rejoindre ceux de leur famille qui sont déjà parti. A cela, vient se surajouter parfois des situations dramatiques où il n’y a pas d’autre choix que de partir pour survivre (conflit, guerre, famine, …). C’est la troisième raison. Enfin, la quatrième raison est écologique. Le réchauffement climatique est le grand défi de l’humanité. Ce défi est devant nous puisque la question qui se pose maintenant est celle de la sauvegarde de l’écosystème humain. Les événements de cet été (incendies en Russie, inondations au Pakistan) sont des éléments qui doivent nous alerter sur l’urgence à agir. Dans ce contexte de changement global, les aléas de la nature sont transformés en catastrophes du fait du modèle d’activité des êtres humains : le capitalisme productiviste. Donc, que ce soit pour cause de désertification, montée des eaux, assèchements de mers ou de lacs, déforestation, salinisation, érosion, pollution de l’eau de l’air ou du sol, déjà estimé déjà à 50 millions en 2010, le changement climatique pourrait causer le déplacement forcé de 250 millions de personnes d'ici 2050 (L. Craig Johnstone, Haut commissaire adjoint de l'ONU pour les réfugiés). Ces 4 éléments, bien souvent imbriqués les uns dans les autres, forment un contexte qui poussent les courageux à tenter leur chance ailleurs, pour aspirer à une vie meilleure.


L’effet pull : l’Europe terre d’accueil


De l’autre côté, il y a les zones attractives : les terres d’immigration. Initialement terre de départ vers le nouveau monde ou les colonies, l’Europe est devenue, depuis les années 1980, l’une des premières terre d’immigration. En 2002, seules la Lettonie, la Lituanie et la Pologne avaient un solde migratoire négatif. En 2010, L’Europe est attractive sans ambigüité. Composée de 490 millions d’habitants, l’Union européenne à 27 compte aujourd’hui 25 millions d’étrangers sur son sol. Les migrations à destination de l’Union européenne sont marquées par une forte composante régionale. Car, même si l’UE attire les migrants du monde entier, c’est en premier les migrants des pays proches qui sont concernés (Afrique du Nord, Balkans occidentaux, Europe orientale). Cependant, avec la mondialisation, cette composante régionale tend à s’atténuer.


En 1950, la communauté économique européenne totalisait un peu plus de 6% de la population mondiale. Et, ce n’est qu’au gré des élargissements successifs que l’Union européenne d’aujourd’hui, avec 27 pays a pu se maintenir à peu près à ce niveau. Il en est de même pour le poids économique de l’UE qui a pu maintenir son niveau de richesse à 20% du total mondial uniquement grâce au processus d’adhésion. Donc, que ce soit du point de vue démographique ou économique, l’Union Européenne en tant qu’entité politique a pu maintenir son poids, et donc sa puissance dans le monde, grâce à un apport régulier de nouvelles populations. Aujourd’hui, dans ce contexte de croissance molle et de dépression démographique (l’indice conjecturel de fécondité est de 1,5 enfant par femme en Europe en 2007), l’apport de main d’œuvre étrangère est souvent utilisé par ceux même qui présentent les clandestins comme une menace. C’est le cas de la Ligue du Nord en Italie qui, tout en usant d’une rhétorique xénophobe, favorise l’immigration car cyniquement, l’économie a besoin de main d’œuvre bon marché. Bref, en matière d’immigration, il est parfois difficile de démêler ce qui relève des effets de manches, des annonces et des politiques réellement menées.


78 000 kilomètres de frontières à contrôler


La migration est un droit reconnu par divers textes internationaux, y compris par la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1948 qui annonce dans son article 13 que “toute personne est libre de quitter son pays”. Cependant, chaque État étant souverain, il est également “libre” de contrôler l'accès à ses frontières. Ce n'est donc, qu'un droit théorique. Eric Besson nous l’explique d’ailleurs sans ambigüité en précisant que « la libre circulation des personnes ne veut pas dire la libre installation » (C Politique, 05/09/2010). C’est d’ailleurs la position communément admise au niveau Européen, qui tend à se durcir au fil des ans.


Des politiques de plus en plus restrictives


Depuis le milieu des années 1970, l’Union européenne s’est lancée dans la mise en place d’une politique de limitation de l’immigration. C’est dans le contexte de la crise pétrolière de 1973-74 que les pays européens ont commencé à réfléchir à une politique migratoire concertée. Car en effet, avec la signature du premier accord Schengen en 1985 sur la libre circulation dans l’Europe (composée alors de 5 pays), la question d’une politique coordonnée du contrôle aux frontières se pose. Cependant, alors qu’il est précisé dans la déclaration universelle des droits de l’homme (1948), puis dans la convention de Genève (1949) que « toute personne à le droit de quitter son pays, y compris le sien », en 1991, une résolution du conseil de l’Europe vient nuancer ces bonnes intentions. Celle-ci stipule en effet que « Le droit de se déplacer librement, comme prévu par les conventions internationales, n’implique pas la liberté de s’installer dans un autre pays ». Le durcissement commence. En 1993, La France affiche un objectif d’immigration zéro. En 1999, lors du sommet européen de Tampere, commence à apparaître le concept d’externalisation (voir infra) qui consiste à faire participer les pays hors-UE au contrôle des frontières. Lors de ce sommet, une position est prise « pour une coopération régionale entre les Etats membres et les pays tiers limitrophes de l’Union en matière de lutte contre la criminalité organisée [ce qui inclut] la traite d’êtres humains ». Avec le sommet de Séville en 2002, cette politique est réaffirmée avec la mise en place du système intégré de surveillance extérieure (SIVE), qui pose la lutte contre l’immigration illégale comme priorité absolue de L’UE, lorsqu’il négocie avec les pays du voisinage. Ainsi, l’Union joue de son rapport de force avec des pays plus pauvres, pour les faire participer à la « protection » de ses propres frontières. En 2003, le système Dublin II, qui vise à équilibrer les demandes d’asile au sein des pays de l’UE, est mis en place. En 2004, le programme de La Haye réaffirme la « dimension externe de la politique d’immigration et d’asile ». L’externalisation des contrôles migratoires s’amplifie. Cette année, est également crée l’agence FRONTEX, dont la mission principale est d’intercepter les migrants avant qu’ils ne rentrent en Europe. Dans la continuité, Cette politique d’externalisation des contrôles est réaffirmée lors du somment de Rabat où certains pays du sud commencent à se sentir piégés par cette politique. Ils parlent alors de blocus inversé[6]. En 2008, pendant la présidence française de l’Union européenne, est voté le pacte européen sur l’asile et l’immigration, dont la trame de fond constitue le « partenariat global avec les pays d’origine et de transit ». Lutte contre l’immigration « subie » et le « partage du fardeau » est au cœur de ce texte. C’est l’année aussi où est adoptée par le parlement européen le 18 juin 2008 par 367 voix contre 206, la directive retour, appelée directive de la honte par ses détracteurs. Celle-ci prévoit une harmonisation des mesures concernant le traitement des étrangers en situation irrégulière dans les différents pays de l'Union européenne en passant notamment la durée légale de rétention jusqu'à 18 mois et la possibilité d'interdiction du territoire communautaire pour cinq ans.


Au fil des ans, le durcissement des politiques migratoires est sans aucune ambigüité. Aujourd’hui, elle repose sur la triade : enfermementexpulsions et externalisation.


Enfermement : les camps


Parlons sans euphémisme. Il ne s’agit pas de centre d’accueil ou de centre de rétention administrative mais bel et bien de camps. Ce terme, qui caractérise l’assignation à résidence de populations « indésirables », rend en effet mieux compte de la réalité inhumaine de ces lieux d’enfermement. Car oui, l’enfermement des clandestins est au cœur de la politique européenne d’immigration. Nul n’est épargné. Les malades, les enfants, les personnes vulnérables et les demandeurs d’asile peuvent être enfermés. En 2010, il y a 250 camps d’étrangers (32 000 places) dans les 27 pays de l’Union européenne[7]. En France, en 2006, il y avait 47 320 étrangers enfermés dans des camps.


Cependant, du fait de la disparité des dispositifs mis en place dans les différents pays européens (camps ouverts, fermés, assignation à résidence, gestion de demandeurs d’asile), il est difficile de savoir exactement combien d’étrangers sont enfermés aujourd’hui dans l’Union européenne. Afin de sensibiliser l’opinion sur cette question, une campagne européenne est lancée en 2008 par le réseau Migreurop « pour un droit de regard dans les lieux d’enfermement pour étrangers ».


En Europe, des êtres humains qui n’ont commis aucun autre délit que d’être en situation irrégulière peuvent donc être enfermées jusqu’à 1 an et demi. Alors qu’il ne faut que quelques jours, voire quelques semaines pour évaluer si un migrant peut être expulsé ou non, ce dispositif est clairement utilisé comme outil de répression et de dissuasion. 


Les expulsions


En 2009, la France a expulsé 29 000 sans papiers. Sur 14 844 reconduites réalisées au premier trimestre 2009, 4 346 étaient roumains, 1 552 algériens et 1 550 marocains[8]. Ce chiffre, comparable à celui de 2008 (29 799 expulsions), reflète la politique de quotas menée depuis 2004 qui fixe chaque année un nombre préétablit de personnes à expulser. Cette politique du chiffre, met les préfectures sous pression qui doivent, cout que coute, atteindre les objectifs. Du coup, en matière de régularisation et d’expulsion, l’interprétation des textes se fait bien souvent au coup par coup dans les préfectures, en fonction des objectifs fixés sur le moment. Pour les migrants, il y a bien souvent deux poids deux mesures. De plus, au-delà du caractère absurde de ce dispositif, cette méthode, mise en avant pour vanter la crédibilité et la fermeté de l’Etat en la matière, a un coût. Même s’il est difficile à estimer, certains chercheurs évaluent le coût annuel des expulsions réalisées en France à 700 millions d’euros, soit l’équivalent de 20 000 emplois de fonctionnaires. Considérant cette somme trop élevée, les pouvoirs publics ont inventé le système de reconduite volontaire. En 2008, sur les 29 796 étrangers reconduits à la frontière, 10 000 l’ont été « volontairement » ; donc plus rapidement et à moindre coût.


Cette politique n’est pas uniquement l’apanage de la France. De 2005 à 2007, les expulsions d’étrangers vers les pays tiers étaient de 55 063 en France, mais de 62 202 en Allemagne, 68 000 en Italie, 85 958 en Espagne, 130 323 au Royaume-Uni et de 141 777 en Grèce (avec pour cette dernière, un taux d’expulsion réalisé par rapport aux décisions prises de plus de 90%)[9].


Externalisation du contrôle des frontières


Avant d’enfermer et d’expulser les migrants du territoire européen, la politique migratoire vise en premier lieu à empêcher les étrangers de venir. Pourtant, quels que soient les mesures ou les dispositifs drastiques mis en place pour surveiller les 78 000 kilomètres de frontières extérieures de l'UE, les migrants continuent et continueront à tenter leur chance. Même les événements tragiques, comme à l'automne 2005 lorsque des migrants ont été tués par balle ou d'étouffement pour avoir tenté de rejoindre “l'eldorado” Europe par l'enclave espagnole de Ceuta, ne freine l'aspiration des migrants à une vie meilleure. Conscients de la difficulté à endiguer les flux migratoires, l’Union européenne, par le biais de la politique européenne de voisinage (PEV), a mis en place un dispositif de contrôle des frontières externalisé.


Le concept d’externalisation, emprunté aux économistes par le réseau Migreurop, qualifie la mise en place par l’UE de collaborations aves les pays voisins pour le contrôle des frontières (zones tampons). Ce système de sous-traitance de la lutte contre « l’immigration illégale » souvent dissimulé sous le joli terme de coopération, permet en fait à l’UE de se décharger du contrôle des frontières sur les pays du sud. En réalisant des accords de partenariat économiques, politiques et commerciaux avec les pays limitrophes, l’Union européenne met les pays du sud sous pression afin qu’ils acceptent de prendre en charge la régulation des flux migratoires. L’UE impose par exemple ce contrôle en contrepartie du versement de l’aide au développement. Le rapport de force économique étant ce qu’il est entre l’UE et son voisinage, ces pays ne peuvent qu’accepter. On parle alors de blocus inversé.


En plus de la mise en place de cette délocalisation des contrôles, l’UE s’est dotée depuis 2004 d’une agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX). Opérationnelle depuis 2005, cette agence a pour mission principale de lutter contre l’immigration clandestine. Pour cela, elle dispose d’un budget annuel de 80 millions d’euros. Composée de 20 avions, 30 hélicoptères, 100 vedettes et plus de 500 gardes frontières, FRONTEX est le bras armé de l’UE en matière de lutte contre l’immigration. De 2006 à la fin 2009, l’agence a organisé 61 vols de retour pour 2 859 migrants clandestins. En 2006, 3.2 millions d’euros ont été débloqués pour un plan d’action destiné spécifiquement à traquer en permanence les migrants d’origine subsaharienne.


Les demandeurs d’asile sont les grands perdants de cette politique d’externalisation. Repoussés ou retenus dans des pays tampons aux marges de l’Union européenne, les éventuels demandeurs d’asiles n’ont même plus la possibilité de faire une demande officielle. Retenus dans des camps de rétention externes (en dehors de l’union européenne), y compris dans des pays où les droits de l’homme sont loin d’être respectés (Lybie par exemple), leur rêve européen s’arrête bien souvent là, sans que ceux-ci ne soient comptabilisées dans les statistiques officielles.


Des morts par milliers aux portes de l’Europe


Contrairement au message officiel vantant une politique qui viserait à empêcher tout appel d'air qui ne bénéficierait qu'aux seules filières de passeurs, le durcissement des politiques migratoires ne tend pas à faire diminuer le nombre de victimes. Au contraire, cela les aggrave! Les contrôles mobiles mis en place par Frontex avec des dispositifs quasi militaires, obligent les migrants à prendre plus de risques. Car, pour tenter de passer entre les mailles des filets, ils sont obligés de prendre des routes de plus en plus dangereuses, ce qui augmente mécaniquement le nombre de décès.


Néanmoins, il est très difficile de trouver des données officielles recensant les décès liés aux migrations. Afin de se rendre compte de l'ampleur du phénomène, des associations (Fortess Europe ou United for Intercultural action) se sont lancées depuis la fin des années 80 dans cet énorme chantier en recensant dans la presse européenne tous ces événements malheureux. Le résultat est édifiant. Depuis janvier 1993, on a compté 13 500 cadavres, dont environ 10 000 en méditerranée. Selon les experts, ce chiffre sous-estime certainement la réalité. Tout cela a été représenté sur une carte ci dessous réalisée pour la première fois pour le Monde diplomatique, puis réactualisée pour l'Atlas des migrants en Europe coordonné par Olivier Clochard (Réseau Migreurop). Ce que montre cette carte, c'est que les routes changent, mais que les drames subsistent, voire s’amplifient. Car, aucun des dispositifs mis en place pour dissuader les migrants de venir rejoindre l’eldorado Europe ne fonctionne.


Figure 2 : Mourir aux portes de l’Europe, 1993 - 2009


Mais, alors que cette carte montre l’ampleur du phénomène, elle rend mal compte des drames individuels qu’elle contient. En effet, cette carte pourrait être subdivisée pour montrer les morts par noyade, les étouffements, ceux qui sont morts d’une maladie après expulsion ou ceux qui sont morts dans les services de l’Etat. Ces données existent mais ne peuvent pas être synthétisées sur une seule figure. De plus, même en effectuant ces subdivisions, le drame individuel reste masqué par l’agrégation et la masse d’information représentée. Au final, ce n’est que par le récit de chacun de ces événements tragiques qu’on peut avoir une connaissance fine de la quantité de drame humain représenté sur cette carte. Je terminerai donc en retranscrivant ici, un court extrait de la base de données qui a m’a servit à construire cette carte. Le voici.


« Trente-six inconnus, dont deux femmes et quatre bébés, originaires du Nigéria et du Cameroun, sont morts noyés : des garde-côtes marocains ont percé leur embarcation gonflable avec un couteau » (28 avril 2008). « Sadedim, un garçon originaire de Macédoine, est mort de non assistance médicale au centre de détention de Geeuwenburg, en Hollande » (26 juillet 2006). « Un mineur, originaire du Maroc, est mort étouffé après avoir été emprisonné à la frontière de Melilla, enclave espagnole au Maroc »(Mai 2003)….


Pour une autre politique migratoire ?


Bien que sordide, cette carte nous montre avant tout que ces questions ne peuvent pas être traitées sans une once d’humanisme. Il est grand temps de revoir les politiques européennes d'asile, d'immigration et de repenser une vraie politique de co-développement. Quand il s’agit d’êtres humains, la fraternité et l’humanisme sont préférables aux logiques comptables qui se révèlent inefficaces. Nous avons notre part de responsabilité dans la misère du monde. Et, tant que nous continuerons à mener une guerre économique qui appauvrit encore plus les pays pauvres, quelque soient les dispositifs militaires que nous mettrons en place pour nous « protéger », les migrations continueront inéluctablement. La seule politique utile à mettre en place est donc une politique de solidarité et d’entraide afin de briser ces lignes de cassures entre les zones de richesses et les zones de pauvreté. Dans notre monde, ces lignes de fracture sont toujours militarisées. La première chose à faire est donc de provoquer une révolution citoyenne pour stopper la construction libérale de l’Union européenne et remettre enfin le curseur dans l’autre sens. Il faut sortir de cette période de grande régression pour aller à nouveau dans le sens du progrès humain, vers une société écologique et solidaire. Car, comme le disait Pierre Laurent pendant la manifestation contre la politique sécuritaire du gouvernement, « La lutte pour les libertés fondamentales et pour les droits sociaux sont un seul et même combat » (4 septembre 2010).


Il est vrai que c’est un travail du longue halène, mais un gouvernement de Front de Gauche pourrait agir tout de suite en mettant en place un certain nombre de mesures comme, la régularisation des sans papiers pour permettre un droit au travail et à la scolarisation, leur donner le droit de vote aux élections locales pour qu’ils retrouvent la voie de la citoyenneté, fermer tous les camps et négocier tout de suite la sortie de certaines directives européennes (opt out) comme la directive retour. Ainsi seulement, les étrangers sortiront de la « salle d’attente de la société »[10] dans laquelle nous les y avons mis.


Nicolas Lambert,
Cartographe





REFERENCES


[1] Le gouvernement veut faire payer l’accès aux soins, Cécilia Gabizon, Le figaro, 02/09/2010[2] Deuxième rapport de l’observatoire européen de l’accès aux soins, septembre 2009.
[3] Atlas mondial des migrations, Catherine Wihtol de Wenden, Autrement, 2009[4] Atlas de la population mondiale, Gilles Pison, Autrement, 2009[5] Atlas de l’Europe dans la monde, Clarisse Didelon, Claude Grasland, Yann Richard, La documentation française, 2008[6] Comment l’Union européenne enferme ses voisins, Alain Morice et Claire Rodier,Le monde diplomatique, juin 2010[7] Les camps d’étrangers, symbole d’une politique, Olivier Clochard, Le monde diplomatique, juin 2010[8] 29 000 sans-papiers expulsés en 2009 par la France, Le Monde, 07/01/2010[9] Atlas des migrants en Europe, Olivier Clochard, Armand Colin, 2009[10] Etrangers en séjour précaire, A. Veisse, 2004







Nicolas Lambert, Sept 2010

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